Recommandation dossier innovation - Un développement web responsable ?

 

 


Résumé fr

Il était annoncé qu'Internet "dématérialiserait" notre société et réduirait notre consommation d'énergie et de ressources. Contrairement à cette projection, il est devenu lui-même un grand consommateur d'énergie en pleine croissance. Son impact sur la société et l'environnement est aujourd'hui problématique. En effet, le secteur du numérique est responsable de 4% des émissions de gaz à effet de serre.

Internet est la première technologie utilisée dans nos usages quotidiens. Seulement, le poids et la demande des services en ligne en énergie et ressources augmentent drastiquement, ce qui entraîne une forte accélération de l'obsolescence programmée de nos téléphones et ordinateurs. Les développeurs web sont au centre de l'évolution d'Internet et ont un rôle essentiel à jouer. Mais comment, en tant que développeur web, peut-on contribuer à un numérique plus responsable ? Comment peut-on réduire notre "empreinte numérique" par les services et produits que nous concevons ?

Compte tenu de l'évolution d'un Internet qui se veut sans limite, il est essentiel de repenser la manière dont nous concevons nos projets. Aujourd'hui, 80% des fonctionnalités sur le web ne sont pas utilisés et pourtant, nous continuons de concevoir et développer de la même manière.

Nous pouvons drastiquement diminuer l'impact du numérique en transformant les approches de création de services et produits en ligne. L'objectif est d'adopter une démarche responsable en accord avec le développement durable à chaque phase de la vie du produit.

Je veux démontrer ici qu'avec une démarche de conception de site web qui prône simplicité, frugalité et pertinence nous pouvons drastiquement réduire l'empreinte d'un site web et favoriser une sobriété numérique.

Résumé en

It was announced that the Internet would "dematerialize" our societies and reduce our consumption of energy and resources. Unlike this projection, the Internet has itself become a large and growing consumer of energy. Its impact on society and the environment is now an issue. Today, the digital sector is responsible for 4% of all greenhouse gas emissions.

The Internet is the first technology we use everyday. However, the weight and demand of online services in terms of energy and resources are increasing drastically, which is leading to a strong acceleration of the obsolescence of our telephones and computers. Web developers are at the center of the evolution of the Internet and have an essential role to play. As web developers,how can we contribute to a more responsible digital world ? How can we reduce our "digital footprint" through the services and products we design ?

In view of the evolution of an Internet that wants to be limitless, it is essential to rethink the way we conceive our projects. Today, 80% of the Internet functions remain unused and yet we continue to design and develop in the same way.

We can drastically reduce the impact of digital technology by changing the way we create online services and products. The objective is to adopt a responsible approach in line with sustainable development at every stage of the product's life.

I want to demonstrate here that with a website design approach that advocates simplicity, frugality and relevance we can drastically reduce the footprint of a website and promote digital sobriety.


Introduction

Dans un contexte de changements climatiques et d’épuisement des ressources, le numérique, tel qu'il existe aujourd'hui, est en voie d'extinction. Les technologies de l'information et de communication continuent leur expansion comme si elles avaient des ressources infinies en oubliant qu'elles appartiennent à un monde fini.

L'impact de l'homme sur l'environnement m'interpelle de plus en plus et j'essaie, depuis plusieurs années, d'expérimenter dans mon quotidien un mode de vie plus responsable et durable. Je me suis ainsi questionné sur cet impact dans le cadre de mon métier, les nouvelles technologies, et notamment dans ce que l’on appelle "innovations" et la manière dont on définit le progrès aujourd'hui. Je me suis rendu compte que ce progrès avaient des conséquences considérables sur l'environnement et le bien-être des personnes. Comme le rappelle l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) l’épuisement des ressources non renouvelables et l’érosion de la biodiversité constituent des impacts environnementaux tout aussi importants que le changement climatique. C'est la production et le renouvellement abusif des terminaux (téléphones, ordinateurs) qui polluent le plus avant les data-centers.

Le secteur du numérique est responsable aujourd'hui de 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre et la forte augmentation des usages laisse présager un doublement de cette empreinte carbone d'ici 2025.

Internet est la première technologie utilisée dans nos usages quotidiens. Le poids moyen d’une page web a été multiplié par 143 en 24 ans, passant de 14 Ko en 1995 à 2 000 Ko en 2019, avec une accélération du phénomène ces dernières années. Cet excès de consommation de données, de ressources est la première cause d'obsolescence de nos équipements connectés.

En tant que développeur web et concepteur de produits en ligne, nous sommes directement responsables de l'évolution d'Internet et du numérique. Nous sommes ainsi parmi les mieux placés pour contribuer à rendre ces technologies plus sobres et responsables.

Je me suis alors demandé comment, en tant que développeur web, peut-on contribuer à un numérique plus responsable ? Comment peut-on réduire notre "empreinte numérique" par les services et produits que l'on conçoit ?

Il est nécessaire de repenser la manière dont on réalise les produits numériques. Aujourd'hui, environ 80% des fonctionnalités sur le web ne sont pas utilisés et pourtant, on continue de concevoir et développer de la même manière.

J'aimerais alors explorer ce que pourrait être un internet véritablement utile, accessible, sobre, respectueux de l'Homme et de sa vie privée. Le quotidien de mon métier consiste à concevoir et développer principalement des sites internet. C'est par cet axe que je développerai les moyens que l'on peut employer pour créer un internet plus en accord avec les objectifs du développement durable.

1. L'état du numérique

Le numérique a complètement bouleversé nos sociétés ces 30 dernières années. Son développement façonne chaque jour notre manière de consommer, de nous déplacer, de nous nourrir, de travailler, de nous informer.

L'Historien Milad Doueihi dans son livre Pour un humanisme numérique parle même d'un nouvel âge pour l’humanité. La culture numérique invente un nouveau paradigme. Elle incarne "le triomphe de l'espace hybride, du passage continuel entre le réel et le virtuel, entre le concret et l'imaginaire". Elle opère un tournant anthropologique décisif par la reconfiguration de notre rapport au temps, à l'espace et aux autres.

On nous a dit qu'Internet allait "dématérialiser" la société et diminuer la consommation d'énergie. Contrairement à cette projection, il est devenu lui-même un grand consommateur d'énergie en pleine croissance et son impact sur la société et l'environnement devient aujourd'hui problématique. Pourtant, Internet et le numérique étaient, au départ, vus par beaucoup comme la solution évidente à nos problèmes de sociétés.

1.1 Définition

Il me parait important de rappeler que le "Numérique" est en soi un mot passe-partout qui caractérise un ensemble de pratiques de notre quotidien liées à l'informatique. Devenu substantif, "le numérique" désigne aujourd’hui les "technologies de l'information et de la communication" (TIC). Il s’agit de l'ensemble des technologies permettant de traiter des informations numériques et de les transmettre. On peut parler plus précisément d'une combinaison de technologies informatiques et de télécommunications dans le contexte du multimédia et du réseau Internet.

Le numérique a tellement changé notre manière de penser, d'agir au quotidien que l’on parle même de “culture numérique” ou de “révolution numérique”.

Il faut savoir que "numérique" est spécifique au français, les autres pays utilisant majoritairement le terme anglais "digital".

1.2 Une utopie déchue ?

Les pionniers d’Internet pensaient que la nouvelle forme de partage et de communication de ce média décentralisé serait un vecteur de progrès humain, un libre lieu d'expression et de créativité.

Il est vrai qu'au départ, le projet est séduisant : pouvoir s'exprimer et échanger librement dans un espace qui se veut appartenir à tous était la philosophie des pionniers du Web. Cependant, ces mêmes personnes voient Internet aujourd'hui comme une désillusion et se demandent même s’il ne faut pas "arrêter la machine" comme le dit Félix Tréguer, chercheur associé au Centre Internet et Société du CNRS, membre fondateur de l'association La Quadrature du Net. Il écrit dans son livre, L'Utopie Déchue, qu’Internet n'a pas apporté plus de liberté comme on le pensait et a fait passer l'écologie à la trappe. Avec l'émergence de puissances dans les années 2000 comme Google, Amazon, Facebook et des programmes de surveillances comme le programme PRISM, le Cloud Act ou encore la directive européenne eEvidence, on assiste à une reprise en main de l'espace public d'Internet, une sorte d'hybridation entre grandes sociétés et gouvernements.

Félix Treguer pose un constat radical :

Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas d’un patch logiciel, d’un bricolage juridique, ni même d’un peu d’éthique. Ce qu’il nous faut d’abord et avant tout, c’est arrêter la machine.

Même si, en surface, nous avons l'impression d'assister, impuissants à un monde de contrôle, de manipulation et de surveillance, l'écosystème qu'a créé Internet est tellement vaste et varié que j'ai la conviction qu'il a gardé ancrée sa philosophie première de libre partage et de liberté d’expression. Des systèmes alternatifs, open source et décentralisés basés sur la blockchain permettent par exemple aujourd'hui de gérer des organisations, des communautés, de créer des applications, de gérer des transactions sans intermédiaire et sans risque de contrôle et de censure. On peut citer le projet Aragon et le projet Steem qui fonctionne sur la plateforme et le protocole d'échanges Ethereum.

Malgré son ADN fait de liberté et d'utopie, on ne soupçonnait pas qu'Internet aurait aujourd'hui un écosystème aussi complexe et colossal avec un impact direct et de plus en plus intense sur l'environnement.

1.3 Cycle de vie d'un service numérique : les dessous d'un site web

Avant de parler d'impact direct, il est intéressant de se questionner sur les coulisses d'Internet et le cycle de vie d'un site web.

Que se passe-t-il vraiment quand on clique sur un lien ? Que se passe-t-il pendant ces quelques millisecondes d'attentes avant l'ouverture de la page ?

Il est difficile d’imaginer tous les rouages, les ficelles et les ramifications derrière un simple lien. Le processus semble immatériel, presque magique. Pourtant, on met en route à chaque fois une machinerie colossale et complexe.

Quand on demande d'accéder à une page par un lien, le navigateur que l’on utilise va procéder au traitement de notre demande. Il se sert alors des ressources et composants de notre périphérique, ordinateurs ou téléphone pour exécuter le processus. Que ce soit sur le navigateur Chrome, Firefox ou Edge, ils utilisent de la mémoire vive (RAM) et un pourcentage du processeur (CPU) ainsi que de l'espace du disque dur. La machine met alors ses ressources à disposition pour exécuter la tâche demandée par le logiciel.

Le navigateur Chrome par exemple, sous prétexte de performance et de rapidité, apprécie l'utilisation d'une quantité non négligeable de mémoire vive.

Aperçu de l'activité de la mémoire vive : Google Chrome navigateur internet prenant plus de 3Go de RAM sur mon ordinateur pour afficher des pages web

Bien sûr, le périphérique sur lequel on consulte Internet demande également de l'énergie électrique pour fonctionner et doit être branché au réseau électrique pour s'alimenter et se charger. Ce terminal numérique, quant à lui, est fait d'un nombre impensable de petits composants qui, eux aussi, ont une origine. Les cartes électroniques, écrans, pièces de plastique, batteries sont créés et assemblés en passant dans de nombreuses usines d'entreprises spécialisées qui sous-traitent à d'autres entreprises encore plus spécialisées. Certaines pièces parcourent le monde comme les processeurs de chez AMD qui sont assemblés en plusieurs fois en Allemagne puis en Malaisie avant de revenir à Amsterdam pour expédition. La fabrication de ces composants consomme de l'électricité, des énergies fossiles, de l'eau et de nombreux types de métaux différents. On y retrouve notamment des métaux connus comme le cuivre, le platine, mais aussi des métaux moins commun comme le Gallium, l'Indium ou le Tantale.

Composition moyenne d'un smartphone aujourd'hui (Sources : ADEME, Eco-systèmes, Oeko-Institut, EcoInfo)

Les métaux rares des cartes électroniques comme l'Indium sont extraits principalement en Afrique, mais surtout en Chine, premier producteur de terres rares. Beaucoup de ces métaux demandent une opération de "raffinage" pour les extraire de la roche. Il faut bien plus d'énergies et de ressources pour les traiter et obtenir des métaux exploitables que le reste des métaux plus communs. Les usines d'extraction utilisent d'énormes quantités d'eau et de réactifs chimiques tels que les acides nitriques et sulfuriques pour obtenir un produit pur. Derrière nos petits appareils, il est difficile de s'imaginer toute cette industrie, tout ce cheminement qui leur donnent vie.

Carte simplifié des origines de conception, fabrication et ressources de l'Iphone (données pour l'Iphone 5)

Revenons à notre demande d'accès à notre page web. Une fois que le navigateur a exécuté sa tâche et utilisé les ressources du terminal, il envoie une requête au réseau Internet. C'est alors la box Internet ou l'antenne 4G qui prend le relais. La box Internet est elle-même un petit ordinateur composé de cartes électroniques, d'un processeur, d'une alimentation, de connectiques. L'antenne relais (GSM, 4G) quant à elle transmet l'information au réseau par sa cellule composée d'un ou plusieurs émetteurs récepteurs qui gèrent une paire de fréquences porteuses et d'un groupe d'antennes.

Notre requête est alors transmise au réseau et va alors parcourir des milliers de kilomètres de câbles sur terre et sous l'eau.

De manière schématique, une requête vers les serveurs de Facebook par exemple va passer par des relais à Paris, puis par Londres pour traverser l'océan Atlantique jusqu'à New York. Le signal traverse les États-Unis pour ressortir à Los Angeles et est acheminé à Palo Alto. Le signal repart alors dans l'autre sens, retraverse les États-Unis, puis l'Océan pour aller jusqu'en Irlande ou Facebook entretient l’un de ses plus gros data centers pour l'Europe. Ce voyage d'une dizaine de milliers de kilomètres aura duré à peine une seconde :

Simple requête vers Facebook avec la commande Traceroute

Selon l'ADEME, la distance moyenne parcourue par une requête est de 15 000 km [guide de l'ademe]. Notre signal passe par un réseau immense de câbles comme le TAT-14, posé en 2001 pour relier l'Europe et les États-Unis, d’une longueur de plus de 15 000 km.

Arrivée à destination, notre requête est traitée dans un data center : une usine de données qui abrite le plus souvent des milliers de serveurs informatiques. Ces serveurs connectés entre eux stockent et traitent les données 24h/24h.

Un data center s’étend en moyenne sur une surface 1000 m² et consomme environ 5,15 MWh au m² par an (étude de l'ATEE sur l'éfficacité énergétique d'un data center). Cela équivaut à 37 fois la consommation moyenne d'une maison au m² par an. Les plus gros data center peuvent dépasser les 100 MWh, soit l’équivalent de la consommation des villes de 25 à 50 000 habitants. L'énergie est surtout utilisée pour maintenir une climatisation et refroidir les ordinateurs.

D’après le Data Center Map, on recense aujourd’hui plus de 4000 centres dans le monde, dont près de 1650 rien qu’aux États-Unis ; la France, elle, en compte environ 140.

Visualisation des structures physiques de l'internet dans le monde : data centers, points d'échanges internets et cables réseaux (Source : Density Design - The Physical Internet)

70 % du trafic Internet mondial transite dans la « Data Center Alley » qui se trouve en Virginie (États-Unis). Une grande partie des data centers de la planète proposés par des entreprises comme Cisco, Jerlaure, Sigma sont consacrés à la navigation sur Internet.

Il est très difficile de se rendre compte de tous les acteurs et éléments impliqués pour pouvoir accéder à une page web. Cependant, la dématérialisation, le fameux "Cloud" est en fait bien réel et il impacte notre monde bien plus qu'on ne le croit.

Schéma du parcours d'une requête pour un site web et des dépendances externes

Mais d'où vient le site web ? Comment est-il créé ?

Intéressons-nous maintenant à la vie d'un site internet et essayons de résumer son cycle de vie de manière rudimentaire.

En premier lieu, un site web, pour naître, a besoin de personnes et d'idées. Ces mêmes personnes vont utiliser un lieu avec des grands tableaux, des post-its, des ordinateurs avec des logiciels de dessin, des documents partagés. Ensuite, d'autres personnes vont utiliser des logiciels de programmation, des outils ainsi que des répertoires de code pour donner vie à l'idée sur un écran.

Après achat d'un espace chez un fournisseur de serveur web, le code du site web et le contenu sont déployés sur un ordinateur dans un data-center.

Le site web est ensuite consulté par des personnes sur différents périphériques : ordinateurs, tablettes, smartphones grâce à un réseau internet en fibre ou ADSL avec une box ou avec le réseau mobile (4G ou 3G principalement).

Une équipe est chargée d'administrer et de mettre à jour le site pour le faire vivre. D'autres sont chargés de la maintenance technique.

Une fois que le site n'a plus d'utilité pour les internautes et devient obsolète, il est le plus souvent archivé dans le disque dur d'une machine.

Un nouveau site web peut alors prendre sa place.

Shéma succint du cycle de vie d'un service numérique

Lors de la conception d'un produit ou d'un service, pour mesurer et analyser les différents flux et ressources exploités tout au long du cycle de vie, on parle d'Analyse du Cycle de Vie (ACV).

Cette méthode permet d’analyser les flux entrants et sortants à chaque étape du cycle de vie : fabrication, transport, déploiement, maintenance, utilisation, et fin de vie d’un produit ou d’un processus. Elle est normalisé ISO 14040 et 14004.

ISO 14040:2006
Enfin une voiture sans danger pour la planète ! Avec la tout-électrique BMW i3, le constructeur allemand commercialise la première automobile premium conçue dès l'origine pour une mobilité zéro émission.
https://www.iso.org/fr/standard/37456.html
ISO 14004:2016
ISO 14004:2016 donne à un organisme des lignes directrices concernant l'établissement, la mise en ?uvre, la mise à jour et l'amélioration d'un système de management environnemental robuste, crédible et fiable. Les lignes directrices fournies sont destinées à un organisme cherchant à gérer ses responsabilités environnementales de manière systématique afin de contribuer au pilier environnemental du développement durable.
https://www.iso.org/fr/standard/60856.html

Il s’agit aujourd'hui de la meilleure méthode pour analyser et définir l'empreinte environnementale d'un produit ou d'un processus sur l'ensemble de son cycle de vie.

l'ACV se décompose en quatre grandes étapes :

La première vise à définir les objectif et le champ d'étude. Il s'agit de déterminer l'application finale de l'étude (comparaison, éco-conception, déclaration environnementale) ainsi que le périmètre de l'étude. Il comprend la nature des commanditaires, les fonctions, les frontières du service et les limites de l'étude.

La seconde étape consiste à donner les flux entrants (consommation d'énergie, matières premières) ainsi que les flux sortants (émissions de pollutions, production de déchets) pour chaque phase de vie du produit.

Pour chacun des flux on procède ensuite à l'analyse de l'impact environnemental à l'aide de modèles référents le plus souvent. C'est la troisième étape.

La quatrième étape est l'étape de l'analyse des résultats que l'on compare avec les objectifs initiaux. Cela mène à des recommandations et optimisations à mettre en place pour les étapes à revoir dans une démarche d'amélioration continue.

1.4 La face caché du numérique

Selon le rapport du Shift Projet "Pour une sobriété numérique", dirigé par Hugue Ferreboeuf, le numérique est considéré aujourd'hui comme l'un des principaux leviers de croissance. On considère même qu'il ne serait pas possible de faire face au changement climatique sans un recours massif aux technologies de l'information et de la communication (TIC).

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The Shift Project (TSP/Le Shift) est une association créée en 2010 et un Think Tank qui a pour objectif de lutter pour l’atténuation du changement climatique ainsi que pour une réduction de la dépendance aux énergies fossiles.

Cependant, l'empreinte du numérique est très largement sous-estimée aujourd'hui. Avec la miniaturisation, l'invisibilité des processus et l'explosion des offres dans le "Cloud", on sous-estime largement la réalité physique et les impacts sur le monde réel. Avec l'évolution accélérée des technologies, les frontières que dessine le numérique sont mouvantes et il est difficile d'en mesurer l'impact réel. Malgré cela, des organismes comme le Shift Project, l'ADEME et WWF ont fourni un travail considérable pour mettre en évidence de façon exhaustive l’incidence sur l'impact environnemental des TIC.

Je me baserai alors sur leurs rapports pour fournir une synthèse de l'analyse de ses impacts.

Une croissance qui pose problème

Selon l'étude d'Andrae et Edler publiée en 2015, la consommation énergétique du numérique dans le monde augmente d’environ 9% par an.

L'étude prévoit une augmentation de 70% de la part du numérique dans la consommation finale d'énergie sur la période 2013-2020.

La part du numérique dans la consommation mondiale d'énergie, était de 2,7% en 2017 avec environ 3000TWh et est estimée à 3,3% en 2020.

Avec cette consommation électrique mondiale, le Shift Project estime que la part des émissions de gaz à effet de serre (GES) du numérique pourrait passer de 2,3% en 2013 à 4% en 2020.

Pour avoir un ordre de grandeur, il faut savoir que la part des émissions de GES des véhicules légers (automobiles, motos...) était d'environ 8% en 2018 et celle du transport aérien civil d'environ 2%.

La phase de production des équipements occupe une part très significative dans cette empreinte énergétique et des émissions de GES. Elle représente en effet 45% du calcul total.

Si l’on conserve un téléphone pendant près de 2 ans, 90% de son empreinte totale aura été réalisée avant son achat selon les données du référentiel environnemental du numérique (REN) du Shift Project . Pour une télévision, le poids de la phase de production est d'environ 80% et de plus 60% pour un ordinateur .

Ces dernières années, la production et l'achat de smartphones a bondi. Cisco, dans son rapport, parle d'un parc de 4 milliards en 2017 et plus de 5,5 milliards en 2020, soit une augmentation de 11% par an.

En prime, avec la complexification des téléphones et l'ajout de fonctionnalités, le coût de fabrication en matière première augmente considérablement avec des demandes en métaux de plus en plus diversifiés.

L'écosystème de nos smartphones s'est enrichi et, avec l'utilisation d'applications plus nombreuses, sa consommation énergétique aussi. Malgré des téléphones plus performants et avec une augmentation de la puissance de la batterie de 50% ces 5 dernières années, on constate que la fréquence de chargement des téléphones est restée la même.

Même si c'est un épatant exemple d'effet rebond (l’augmentation de consommation liée à la réduction des limites à l’utilisation d’une technologie), la consommation énergétique des smartphones est ridicule par rapport au coût énergétique de leur fabrication. Avant achat, c'est 90% de l'énergie de toute la phase de vie qui a été consommée.

Production annuelle des smartphones et croissance mondiale du parc avec estimation de 2018 à 2020 (Source : The Shift Project, données publiées par Cisco de 2013 à 2017)

Au delà de l'équipement, c'est le trafic qui a explosé ces dernières années accélérant la course à la production de terminaux et la création de data-centers. Selon le rapport de Cisco sur le trafic des données en 2017, on assiste à une augmentation de plus de 25% par an. Cette croissance est due notamment à l'augmentation du nombre de terminaux par personne dans les pays développés, mais aussi à l'accroissement du trafic vidéo avec le développement de services à la demande (streaming, VOD).

Si l’on s’intéresse à l'origine de la croissance des flux de données, on se rend vite compte que l'essentiel est mis sur le compte des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft auxquels on ajoute les puissances chinoises Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi).

Sur certains réseaux, la part de ces géants du numérique peut atteindre 80% selon les rapports de Cisco.

L'impasse des métaux rares

La production croissante d'équipements numériques consomme énormément de métaux. Certains métaux rares ont aujourd'hui des réserves disponibles limitées et le pic de production de bon nombre de ces produits pourrait être atteint au cours des prochaines décennies. Cette situation pourrait grandement affaiblir la résilience de notre société numérique.

Gallium, indium, tantale, ruthénium, germanium, le smartphone en est le principal client. On peut retrouver en moyenne 40 métaux dans un téléphone.

Liste des métaux présent dans un smartphone (Source : Ingénieurs sans frontières)

Leur extraction requiert une énergie considérable. À titre d’exemple, « il faut purifier huit tonnes et demie de roche pour produire 1 kilo de vanadium, 16 tonnes pour un kilo de cérium, 50 tonnes pour un kilo de gallium, et le chiffre ahurissant de mille deux cents tonnes pour un malheureux kilo d'un métal encore plus rare, le lutécium », explique Guillaume Pitron dans son livre « La guerre des métaux rares ». Ces processus rejettent même des produits radioactifs. La ville de Baotou en Chine, par exemple, est la plus importante zone minière de Chine spécialisée dans l'extraction de terres rares. La radioactivité y a été mesurée à plus du double de celle de Tchernobyl. Les légumes n’y poussent plus, le bétail y meurt et les habitants respirent des fumées nocives.

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Les métaux rares sont une catégorie plus large que celle des « terres rares » (17 métaux, dont le cérium, le dysprosium, le thulium…), car ils incluent également l’indium, le germanium, le cobalt, etc.

De surcroît, la plupart de ces métaux sont difficilement recyclables. Pour certains, comme le tantale et l'indium, le taux de recyclage est inférieur à 1%. La complexification des composants et la diversification du besoin en métaux rendent le problème encore plus épineux.

Par ailleurs, ces fameux métaux rares sont un composant essentiel pour les énergies renouvelables (éolien et solaire). Si la croissance des besoins en métaux continue sa course effrénée, on s'engage dans une voie sans issue pour la technologie.

L'Indium, par exemple, est l’une des 14 matières premières critiques identifiées par l’Union Européenne. Son pic de production et l'apparition de difficultés d'approvisionnement ont été annoncés d'ici à 2030.

Extraction de l’indium dans le temps [Source : (Halloy, 2018)]

Retour sur le cycle de vie

Avec la création du « Référentiel Environnemental du Numérique » (REN), le Shift Project a pu analyser l'impact environnemental du numérique pour donner des ordres de grandeur précis et rendre concret cet impact qui semble si invisible.

Il est très difficile de mesurer la conséquence du numérique sur l'environnement tant l'écosystème est complexe et le nombre de paramètres à prendre en compte important.

C'est pour cela que Hugue Ferreboeuf, directeur de l'étude du Shift Project, a créé le REN avec ses collaborateurs. Le but de ce référentiel est de pouvoir fournir une analyse du cycle de vie et de l’energie et ressources exploitées de manière concrète pour une meilleure prise de conscience des enjeux et des possibles stratégies à adopter concernant l'impact du numérique.

L'analyse de la phase de production des équipements numériques (extraction et production) révèle que plus le degré de miniaturisation est important, plus l'énergie demandée pour la fabrication est conséquente. Selon l'ADEME, un smartphone de 140 gammes consomme 700MJ d'énergie primaire (énergie disponible dans l'environnement et directement exploitable sans transformation). À titre comparatif, 1 gramme de smartphone consomme 80 fois plus d'énergie qu'1 gramme de voiture. En ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre, un smartphone va produire 400 fois plus d'émissions pendant sa phase de production que lors de son utilisation. L'étude de Hazell & Coats en 2015 révèle par ailleurs une information préoccupante : à chaque nouvelle génération de smartphones, l'intensité carbone de celui-ci augmente. Au delà de la consommation d’énergie, les contenus en métaux des équipements sont également un bon indicateur de leur impact sur les ressources naturelles. Il est essentiel d’évoquer en outre le volume de terre déplacée. En effet, pour extraire les métaux contenus dans les terminaux, une quantité de minerais non négligeable est nécessaire : c'est le volume de terres déplacées. Selon l’étude du Shift Project, pour un smartphone avec un volume moyen de 50cm3, le déplacement de terre est d'environ 2L.

Graphique du pourcentage de ressources exploités pendant les phases de cycle de vie (Sources : UC de PC coréen, taux de recyclage de 46%, Choi et al, 2006)

Lors de la phase d'utilisation du terminal numérique, la majorité de la consommation d'énergie et de l'impact sur l'environnement s’est déjà produite. Avec les données tirées du REN, le Shift Project a estimé l'énergie consommée par un smartphone pendant sa phase d'utilisation à seulement 6%.

Il s’agit cependant d’une donnée discutable puisqu'elle ne prend pas en compte la consommation d'énergie liée à la sollicitation du réseau et des data centers.

Le document "[Lean ICT Materials] 1byte Model" par les mêmes auteurs du REN permet de tenir compte de ce facteur et de donner une idée plus illustrative de l'impact physique d'actions "virtuelles". Au vu de la complexité de l'écosystème et de l'incertitude entourant les données, les résultats sont surtout là pour donner des ordres de grandeur qui permettent des comparaisons pour mieux illustrer l'impact du trafic.

Cette étude permet de montrer, à titre de comparaison, que regarder une vidéo en ligne a un impact énergétique 1500 fois plus grand que la consommation électrique du smartphone sur lequel on la regarde.

Plus frappant encore,

10 minutes de vidéo HD en streaming sur un smartphone consomment autant qu’un four électrique de 2000W lancé à pleine puissance pendant 5 minutes.

Là encore, ces données ne sont pas absolues et sont présentées pour donner un ordre de grandeur et tenter d'illustrer la réelle consommation énergétique du trafic Internet. On parle principalement ici de la consommation des data centers qui fournissent les données et non de celle du smartphone qui est négligeable à titre de comparaison.

Si je prends l'exemple de la vidéo, c'est aussi parce qu'elle est à l'origine de plus 80% de la croissance totale du trafic internet selon l'étude de Cisco publié en 2017.

Sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) et toujours en prenant en compte les résultats du REN, on observe des résultats qui correspondent bien à la consommation énergétique. Cependant, cette observation est très disparate entre les territoires. En effet, la diversité des moyens de production d'électricité dans le monde fait que les différences d'émissions de GES entre les pays pour une même consommation d'électricité peuvent fortement varier. Par exemple, l'empreinte carbone en France est de 35 gCO2eq/kWh contre 681 gCO2eq/kWh en Chine.

Pour envisager une démarche de sobriété numérique et d'un Internet plus en accord avec l'environnement, il est nécessaire de quantifier correctement les impacts de cette industrie. C'est la base qu'a posé le Shift Project en 2018 avec le REN rejoint par d'autres acteurs tels que GreenIT.fr, WWF, Fing pour créer une base de donnée publique et exploitable.

1.5 Révolution Numérique pas toujours positive

La Banque Mondiale, en 2016, alertait déjà sur les inégalités que provoque la transition numérique dans le monde du travail. L'évolution et la diffusion des nouvelles technologies sont extrêmement rapides, mais ce développement semble se faire à l'aveugle, sans réelle structuration. Cette croissance effrénée sans prise de recul possible représente un danger pour l'équilibre de cette industrie, mais aussi pour l'impact social et environnemental.

Des réformes pourraient prendre des années avant d’être appliquées et l'écosystème du numérique pourrait avoir changé d'ici là.

La CNUCED, dans son rapport de 2018, énonce qu'il est nécessaire de mener une action internationale concertée pour apporter une structure à la croissance du numérique afin de le rendre plus viable et responsable.

2. Un numérique responsable et durable ?

Au vu des données sur l'impact du Numérique et sa représentation aujourd'hui, associer développement durable et technologies du numérique semble paradoxal.

Pourtant, de nombreux acteurs publics et privés ont compris cette problématique il y a déjà longtemps et oeuvrent pour repenser nos modèles de production et de consommation vers une société plus solidaire, plus sobre et plus résiliente.

C'est le cas de l'organisation WWF, qui fait apparaître la révolution numérique et la transformation écologique comme les deux forces transformatrices majeures du XXIe siècle. WWF se mobilise pour une utilisation et une vision plus responsables du numérique à travers plusieurs approches complémentaires :

La référence en France pour réfléchir à ses problématiques est la communauté GreenIT.fr.

Elle rassemble des acteurs du numérique et surtout d'internet qui oeuvrent depuis maintenant plus de 15 ans pour un numérique plus sobre et durable.

Ils inscrivent leurs actions dans une démarche de "numérique responsable" qu'il définissent de la manière suivante :

Le numérique responsable définit l'ensemble des technologies de l’information et de la communication (TIC) dont l’empreinte économique, écologique, sociale et sociétale a été volontairement réduite et/ou qui aident l’humanité à atteindre les objectifs du développement durable.

Pour que le numérique puisse être au service de l'écologie, il faut d'abord penser à l'impact de cette industrie elle-même. Cette industrie ne sera pas une solution si elle continue à évoluer ainsi et à se donner l'illusion d'être immatérielle. C'est ce point que je vais tenter de traiter en proposant des solutions possibles pour un Internet plus en accord avec le développement durable.

2.1 Le développement durable

Avant de se poser la question de la possibilité de développer un numérique en accord avec les notions de développement durable, il est nécessaire de comprendre ce que ce terme signifie.

Définition

Le rapport historique de la commission Brundtland, dans lequel l’expression “développement durable” est apparue pour la première fois, la définit comme « un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes, sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».

À l'époque, l'Assemblée générale des Nations unies prenait conscience que l'environnement humain et les ressources naturelles se détérioraient fortement. Pour inciter les pays à travailler et à poursuivre ensemble le développement durable, l'ONU a décidé de créer la Commission Brundtland.

Une autre définition plus scientifique a été proposée en 1989 par l'oncologue suédois Karl-Henrik Robert. Pour cela, il a rassemblé un groupe de 50 scientifiques issus de domaines variés pour donner une définition qui soit la plus juste possible et qui mènera à la création de l'organisation internationale The Natural Step. Dans cette définition, les scientifiques donnent un cadre avec 4 grands principes qui décrivent une société durable au sein du système écologique.

Ces grands principes sont les suivants :

"Il est nécessaire d'éliminer notre contribution à l'accumulation progressive de substances extraites de la croûte terrestre."

"Il est nécessaire d'éliminer notre contribution à l'accumulation progressive de produits chimiques et de composés produits par la société."

"Il est nécessaire d'éliminer notre contribution à la dégradation physique progressive et à la destruction de la nature et des processus naturels."

"Il est nécessaire d'éliminer notre contribution aux obstacles structurels à la santé, à l'influence, à la compétence, à l'impartialité et à la création de sens."

Les 17 Objectifs de développement durable de l'ONU

C'est en 2015, lors du sommet sur le développement durable, que les 17 objectifs ont étés soumis. Les 193 Etats membres ont alors adopté officiellement un programme intitulé "Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030".

Ce programme vise à stimuler les actions pour protéger la planète, éliminer la pauvreté et améliorer le quotidien de chaque personne dans le monde. Ces objectifs concilient les trois dimensions du développement durable : économique, sociale et environnementale.

En décembre 2019, les dirigeants mondiaux se sont à nouveau réunis pour dresser un état des lieux de l'avancement de ces objectifs depuis 4 ans et définir les actions à mener pour la prochaine décennie. Le rapport fait apparaître que des progrès ont été accomplis depuis l'annonce des objectifs. Dans les progrès tangibles, a pu être observée la chute des taux d’extrême pauvreté et de mortalité juvénile, un meilleur accès à l’électricité dans les pays les plus pauvres, la multiplication de la proportion des eaux nationales couvertes par des aires marines protégées. En dépit de ces progrès, l'ampleur et la rapidité de l'évolution de ces avancées sont loin d'être suffisantes pour que les objectifs puissent être atteints d'ici à 2030. Investir dans une économie inclusive et durable peut ouvrir de nombreuses opportunités. De même, des solutions techniques, politiques et financières existent et sont à portée de main. Cela nécessite une action plus audacieuse et des changements sans précédent pour s'aligner sur ces objectifs du développement durable.

2.2 Redéfinir l'innovation

L’innovation est le terme moteur de l'évolution du numérique depuis sa naissance. Cette industrie est tellement récente et évolue si rapidement que les opportunités d'être un pionnier sont nombreuses. C'est la ruée vers l'or des innovations numériques.

Il suffit de regarder le CES (Consumer Electronics Show) à Las Vegas, le plus important salon consacré à l'innovation technologique pour se rendre compte de ce qu'on met derrière l'innovation aujourd'hui.

Dans les produits ayant reçu le fameux "CES Innovations Award" du salon de 2020 on retrouve des inventions complètements disruptives comme :

Le premier fer à friser connecté sans fil du CES 2020

Ces produits innovants présentés au CES se placent bien entendu dans un cadre de stratégie commerciale. Ses produits son réfléchis et conçu aussi parce qu'on sait qu'ils vont se vendre. Aussi, et même si on observe une tendance aujourd'hui, ce n'est toujours pas dans l'intérêt des entreprises de produire durable et écologique tant que les consommateurs ne sont pas intéressés.

Il est clair que l'innovation telle que définie aujourd'hui et que l'on voit au CES ne prend pas en compte les limites des ressources terrestres, les besoins humains, l'impact environnemental et sociétal.

Seulement, beaucoup estiment encore qu'il faut investir de manière intensive dans les nouvelles technologies pour résoudre la crise environnementale.

Il faut pourtant nuancer. Comme le démontre Evgeny Morozov, auteur du livre Pour tout résoudre, cliquez ici !, il n'y a pas un "produit", ni une "application" qui va apporter une réponse simple et immédiate aux enjeux sociétaux et environnementaux ni même à nos problèmes individuels.

Il parle de "solutionnisme technologique", la vision que les acteurs de l'innovation, les dirigeants de start-up ont de la société et de l'environnement, réduits à des problèmes à résoudre grâce aux objets connectés, au Web et à Internet.

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L’innovation, par définition, désigne un processus qui consiste à améliorer quelque chose d’existant. L’innovation est par principe positive, au moins sur un aspect précis d’un problème ou d’une situation.

Nous sommes aujourd'hui dans un contexte inédit où les progrès de la science nous donnent à la fois une meilleure vision de la complexité du monde et génèrent eux-même des problématiques sociétales, environnementales et économiques.

Innover ce n'est pas forcément rendre plus performant, plus efficace. Ce n'est pas régler plus vite les problèmes du monde, connecter plus et plus rapidement les gens entre eux par des applications. Innover c'est peut-être aujourd'hui ralentir, prendre du recul, se recentrer sur nos besoins, sur notre avenir et celui de nos enfants.

Ne serait-il pas possible de prendre alors en compte, dans la conception d'un produit, d'un service numérique innovant, les enjeux de développement durable ?

C'est la question à laquelle Xavier PAVIE, philosophe et enseignant-chercheur à l'ESSEC (École supérieure des sciences économiques et commerciales) a tenté de répondre. Il fait naître une autre vision de l'innovation, celle de "l'innovation responsable".

Elle peut être définie comme une solution durable répondant aux besoins d'un client ; cette solution développée par une entreprise, une institution, une organisation, lui permet de se développer de manière rentable tout en tenant compte, au mieux, des impacts possibles à court, moyen et long terme sur les citoyens.

Cette solution s'articule autour de 3 axes :

Tout d'abord, il est nécessaire de s'interroger sur la véritable nécessité du développement d'une innovation. Certains besoins, problématiques, ne nécessitent pas forcément de réponses surtout orchestrées par une équipe marketing.

ll faut ensuite se donner la capacité de prévoir les conséquences de la mise en place d'une innovation. Aujourd'hui, la course à l'innovation génère des prises de décisions rapides et parfois trop hâtives.

Enfin, il faut prendre en compte les impacts globaux sur l'écosystème et pas seulement réfléchir dans un cadre entreprise/client. Une innovation qui se fait dans un secteur donné n'a pas systématiquement des conséquences dans ce même secteur. Par contre, elle peut avoir indirectement un impact sur d'autres secteurs si ceux-ci ne sont pas pris en compte.

2.3 Agir en tant que développeur

Le développeur web, multimédia, logiciel est l’un des acteurs essentiels de l'évolution de l'industrie du numérique et a un rôle majeur à jouer. En tant que développeur web & interactif, je suis loin d'être le mieux placé pour parler d'écologie et de développement durable. Cependant, bien qu'une bonne partie des impacts d'Internet ait lieu côté utilisateurs, les concepteurs de produits et services en lignes sont parmis les principaux concernés. Le but est d'agir pour réduire "l'empreinte technique" d'Internet. C'est-à-dire réduire la quantité de ressources informatiques (processeur, mémoire vive, carte graphique, bande passante) pour favoriser la pérennité des équipements numériques (téléphones, ordinateurs, data centers). Selon GreenIT, c'est le moyen le plus efficace aujourd'hui pour réduire les impacts de l'utilisation d'Internet. Et pour cause, la durée d'un terminal numérique a été divisée par 3 en 30 ans, le poids moyen d’une page web a été multiplié par 143 en 24 ans, passant de 14 Ko en 1995 à 2 000 Ko en 2019, la quantité moyenne de mémoire vive sollicitée (RAM) a été multipliée par 114 durant la même période. Pour donner un exemple de site peu responsable, on peut prendre ce site très connu de réservation d'hébergements qui est airbnb.fr.

Page d'accueil du site airbnb.fr en Janvier 2020

En effet, pour donner à voir un formulaire et une image, la page charge plus de 3Mo de données et exécute plus d’une centaines de requêtes avec notamment du pré-chargement, des trackers, etc.

La conception et le développement responsable

La "conception responsable" de produits et services numériques est simplement l’intégration des enjeux de développement durable dans la conception de services numériques. GreenIT parle aussi d'écoconception. Il ne s'agit pas d'ajouter un logo avec une feuille ou d'optimiser ces lignes de codes après-coup pour se donner bonne conscience. C'est une démarche plus approfondie qui consiste à prendre en compte la performance sociale et environnementale dès les premières phases de conception.

De nombreux acteurs en France et dans le monde se sont penchés sur cette démarche comme GreenIt.fr, sustainabledigital.com et d'autres surtout dans le secteur de l'infrastructure informatique. Je ne fais ici que m'appuyer sur leurs travaux remarquables.

Le but est d'agir sur quatre leviers qui jouent un rôle majeur dans la répartition des impacts et de l'empreinte technique. On a tout d'abord le type de terminal utilisé qu’il s’agisse d’ordinateur, de tablette, de téléphone, de TV connectée avec leurs caractéristiques associées comme les composants et la taille de l'écran. Il faut prendre en compte ensuite leur durée de vie et de manière secondaire la durée de vie des serveurs. On a ensuite le temps passé par l'utilisateur puis enfin son type de connexion (filaire, mobile, 4G, Fibre, ADSL).

L'objectif est alors de réaliser un service qui propose la juste configuration pour répondre au besoin de l'internaute, solliciter le réseau et les serveurs le moins possible. L'idée est de réduire le coût en ressources informatiques côté utilisateurs et serveurs et la quantité de traitements et de données. Et c'est enfin réduire le temps passé devant l'écran.

Il ne faut pas croire que c'est une démarche traditionnelle d'optimisation des performances pour une meilleure efficacité. Il s’agit plutôt d’une démarche d'efficience qui se préoccupe de dépenser le moins d'énergie et de ressources possible. En effet, si on veut par exemple diminuer le temps de réponse d'un site web par exemple, on peut très bien augmenter le nombre de serveurs ou la mémoire vive. Mais ces moyens ont un coût.

Pour y parvenir, il est essentiel d'intervenir à chaque étape du cycle de vie d'un site web : expression du besoin, conception, développement, hébergement, maintenance et enfin l'archivage.

Cette démarche a pour but de respecter les principes du standard ISO 14062. Il décrit des pratiques et concepts liés à "l'intégration des aspects environnementaux dans la conception et le développement de produit (le terme «produit» englobant à la fois les biens matériels et les services)."

ISO/TR 14062:2002
Management environnemental - Intégration des aspects environnementaux dans la conception et le développement de produit
https://www.iso.org/fr/standard/33020.html

Il n'est pas possible de se concentrer seulement sur le code ou sur le site web. C'est seulement en prenant en compte tout le service ou le produit numérique dans son ensemble et dans toutes les étapes de son cycle de vie que l'on peut concevoir de manière responsable.

Les normes d'ISO 14062 peuvent s'appliquer à la réalisation d'un produit sur Internet en reprenant plusieurs grands principes :

En premier lieu, il s'agit de définir le service rendu. Il faut se demander à quoi sert véritablement le service proposé, à qui, à quoi il répond. Cela peut paraître évident, mais en vérité c'est une question que les acteurs d'Internet ne se posent pas assez. Vient ensuite l'étude du service en prenant en compte toutes les ressources, équipements, acteurs impliqués au sein et dans les écosystèmes voisins durant toutes les étapes du cycle de vie. Le tout est appliqué dans une démarche d'amélioration continue de chaque phase, métier, équipement, technique..etc.

Pour un site web, plus on intervient en amont durant les premières phases d'expression du besoin, de conception fonctionnelle et technique, plus l'effet de levier peut être important pour réduire l'impact environnemental.

Selon le rapport « Exceeding Value de The Standish Group » (2014), en moyenne 80% des fonctionnalités développées dans un logiciel ne sont que très rarement voir jamais utilisées.

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C'est essentiel de comprendre que la réflexion sur la conception en amont aura un impact bien plus grand que l'optimisation méticuleuse du code.

De surcroît, il faut savoir que le coût d'un logiciel, d'un service web est en moyenne constitué à 70% par sa dette technique (les engagements souscrits lorsqu’une conception logicielle opportuniste ou une approche de construction augmente la complexité et se révèle plus coûteuse sur le long terme) selon l'étude de Cast The CRASH Report.

Les principes de conception et développement responsable

La conception responsable est d'abord une démarche de simplicité. C'est traduire précisément et justement les différentes fonctionnalités en fonction de chaque besoin exprimé et de les regrouper dans un ensemble cohérent. L'objectif est de simplifier le produit en découpant les différents composants de manière à fournir une interface utilisateur avec seulement l'essentiel pour réduire l'effort d'utilisation du service.

Une illustration simple de ce principe est la comparaison entre 2 moteurs de recherches comme google.fr et yahoo.fr. Yahoo.fr est dans une logique de portail en mettant toutes ses fonctionnalités sur la page d'accueil tel que les actualités, les mails la météo tandis que google.fr à une logique d'une page par composant en affichant seulement la recherche. Résultat, si on veut faire une simple recherche yahoo.fr nécessite beaucoup plus de ressources et est bien plus lourd que google.fr.

Page d'accueil de Google.fr
Page d'accueil de Yahoo.fr

C'est pour cela qu'il est aussi essentiel d'être dans une démarche quantitative en réfléchissant par exemples aux nombres d'articles affichés dans une section, à la compression et à la taille des médias, au temps de réponse de l'application. L'intérêt est d'aider à se défaire du superflu, à épurer le rendu. Qu'est-ce qui est vraiment indispensable par rapport au but recherché ?

Respecter le principe de conception responsable consiste aussi à produire des fonctionnalités et interfaces qui soient à la fois rapides, efficaces, accessibles et véritablement utiles. Si on se concentre sur l'élaboration d'une fonctionnalité utile et rapide, mais qu'elle n'est pas accessible, on prive une partie non négligeable d'utilisateurs à l'accès au service.

Approche pratique

Mon expérience en studio et agence de communication m'a fait rendre compte qu'il n'est pas possible de dire qu'on va optimiser, "ajouter" de l'accessibilité à la fin de la phase de développement. Cette méthode ne peut pas marcher.

L'approche que j'ai voulu mettre en place est d'anticiper et de donner le socle adequat pour permettre d'intégrer les principes de conception responsable tout au long du développement.

En appliquant strictement les principes de développement responsable, j'ai travaillé sur un starter de développement web "low-tech" lié à une recette de respect de principes techniques pour réduire le plus possible l'impact du produit final :

Bastou/sstnbl
WIP] Ultra Lightweight starter for helping build a more sustainable website and reduce its footprint. It's based on 11ty. Note: It's mainly a low-tech experiment, the goal is to provide just enough code to make a static website working. You need to adjust some things first before launching to production.
http://bit.ly/sstnbl
Capture d'écran de la démo du starter sstnbl : http://bit.ly/sstnbl-demo

Ce starter est basé sur la JAMstack, le principe de PWA et est orienté mobile-first. Le minimum requis est donné pour créer un site statique.

Pour préciser, la JAMstack, acronyme de "JavaScript, APIs, Markup", est une architecture de dévelopement web qui permet de créer des sites bien plus performants en servant du code déjà compilé. Le serveur a pour seul travail d'envoyer une page statique à l'utilisateur. Il est ensuite possible d'utiliser un CMS Headless tel que Strapi ou Directus pour gérer les contenu et avoir une api pour faire le lien avec les pages statiques générées. Quand à la PWA (Progressive Web App), c'est une application web qui peut être consulté comme une application native sur mobile ou desktop. Le premier avantage est d'avoir un code source partagé par l'app web et l'app native. Le second et le plus intéressant pour nous est la gestion du cache via l'utilisation d'un Service Worker (script qui s'execute en parallèle pour servir de proxy entre le réseau et le navigateur) qui va permettre de réduire drastiquement le nombre de requettes dès la seconde consultation du site et même fournir un accès au contenu en offline.

Pour permettre le meilleur suivi des principes de conception responsable tout au long du développement, un linter (analyseur de code) à été intégré aux scripts de générations pour fournir des informations et alerter sur les principes que ne sont pas respectés. Un budget de performance ajustable à aussi été crée pour permettre un suivi du poids du code et des ressources du site.

Le starter est accompagné d'une checklist complémentaire avec notation qui permet de vérifier si les principes de conceptions responsables ont bien étés respectés.

L'objectif de ce starter est d'avoir le bon socle pour faciliter la réduction des requetes, la réduction du poids du code, l'utilisation des bons formats de fichier, la réduction de la charge serveur. Le but est surtout d'utiliser seulement le strict nécessaire, d'aller à l'essentiel.

Une plateforme vidéo responsable ?

C'est dans cette démarche que j'ai expérimenté la conception d'un Youtube qui ait le moins d'impact possible sur l'environnement et sur la dépendance cognitive :

Bastou/ytb
WIP] A low-tech youtube. It is mainly an experiment in an attempt to reduce the environmental impact of this type of platform and reduce cognitive dependence. ytb.bastiencornier.com The app respect the one page one feature principle.
http://bit.ly/ytb-xp

Toujours dans une optique de conception low tech, j'ai poussé les principes de conceptions responsables jusqu'aux limites possibles. L'objectif est de donner l'essentiel en réponse à un besoin simple : "Je souhaite trouver une vidéo et la regarder."

Je me suis basé sur le starter décrit précédemment avec le principe d'avoir une page une fonctionnalité.

La page d'accueil est inspiré du site web le plus connus et le plus efficace au monde : google.com

Page accueil de ytb.bastiencornier.com

L'application permet de rechercher une vidéo, d'afficher une liste de résultat et de regarder la video tout simplement. Les miniatures récupérés sont à leur taille d'affichage et les vidéos récupérés sont au maximum de 480p en résolution ce qui est amplement suffisant. Le nombre de requêtes par page est en moyenne de 6 et la taille des pages est de 43kb avec un budget initial de 50kb par page (2mb par en moyenne en 2020). Par exemple, utiliser des polices systèmes peut réduire en moyenne par 5 le nombre de requêtes sur une page.

Outils de mesure

Le point de départ d'une démarche responsable est d'abord de pouvoir mesurer l'impact d'un site web. Il existe plusieurs outils très bien conçus qui prennent comme modèle l'outil PageSpeed Insights de Google.

La référence française est ecoindex.fr, créée par la communauté GreenIT. Il se veut communautaire, gratuit et ouvert. Il calcule un score de performance environnementale par rapport à la moyenne des sites sur 100. Il donne également l'empreinte technique et l'empreinte environnementale associée (gaz à effet de serre, eau)

Analyse de l'éco-index du site de Gobelins, l'Ecole de l'Image

Un équivalent anglais est websitecarbon.com crée par la société WholeGrain Digital. Les calculs sont différents de ceux d'ecoindex et donnent ici un résultat en pourcentage par rapport aux autres sites testés. Websitecarbon donne moins d'informations, mais propose des comparaisons d'impacts intéressantes comme le nombre d'arbres nécessaires pour l'absorption du CO2, l'équivalent en nombre de bulles (en milliards de bulles) ou, encore plus original, le poids équivalent CO2 en nombre de lutteurs de sumo.

Le collectif Fairness avec le Shift Project a également développé une extension, Carbonalyser, qui permet de mesurer son impact environnemental pendant sa navigation. Il donne des informations sur la consommation énergétique, la quantité de CO2 émise et donne des illustrations d'équivalents pour mieux se représenter l'impact.

Un web Low-Tech ?

Les enjeux de demain ne seront probablement pas d'avoir le dernier écran ou le dernier objets connectés. Il est fort probable que ces enjeux soient plus vitaux comme la sauvegarde de notre culture, la diffusion des connaissances, l'échange d'informations critiques sur la santé, l’agriculture, la météo.

La low-tech, en opposition au high-tech, définit l'ensemble des solutions techniques simples, faiblement “technologisées” et accessibles, généralement locales et utilisant le moins de ressources possibles, pour un impact environnemental et social durable. Ce sont des techniques orientées vers l'avenir dans le but de contribuer à sauvegarder notre environnement et améliorer les liens sociaux. Ce n'est pas un concept nouveau puisqu'il nous vient de l'aube de l'humanité.

Peu importe la technologie utilisée, le but est d'être capable de stocker et de partager de l'information.

Frédéric Bordage, fondateur de GreenIT, expérimente depuis plusieurs années un web possiblement low-tech en remplaçant par exemple des sites web entiers par des mails ou des SMS.

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L’ordinateur de bord de la mission Apollo il y a 70 ans avait une capacité de stockage de 70 Ko et une mémoire vive de 4 Ko. Les astronautes sont allés sur la lune avec l'équivalent en poids d'un mail.

Kris De Decker, journaliste indépendant chercheur sur les demandes d’énergie en lien avec les pratiques sociales, a poussé l'expérimentation jusqu'à créer un site web qui fonctionne entièrement à l'énergie solaire. Le site est celui de son magazine : solar.lowtechmagazine.com, "Le magazine qui refuse de supposer que chaque problème a une solution high-tech. "

Page d'accueil du site solal.lowtechmagazine.com

Il affirme que son site est low-tech par plusieurs principes. Il montre qu'il a repensé l'interface en réduisant le nombre d'articles affichés pour ne donner que l'information essentielle. Il n'y a même pas de logo. Une autre composante a été l'utilisation d'un site statique. Le serveur s'occupe uniquement d'envoyer les pages et styles du site en html et css. Les images ont été compressées par la technique du "dithering", une forme de traitement de l'image permettant de la rendre plus légère avec une palette de couleurs limitée. On ne retrouve ni service de tracking, ni bannières de publicité, ni cookies. Le suivi du tracking se fait grâce aux logs du serveur. Le serveur est un petit ordinateur récupéré qui se trouve chez l'auteur et est alimenté par un panneau solaire de 50w et une batterie de 12V.

Toute la démarche est très bien documentée pour pouvoir facilement la reproduire. Le gain énergétique est également documenté. En comparant avec son ancien site, Kris De Decker révèle que la taille des pages a été divisée par plus de six, le nombre de demandes a été divisé par cinq et la vitesse de téléchargement a été multipliée par dix.

Il est vrai que lors de la conception d'un produit, le premier réflexe est souvent de se dire : "On va faire une application !". Mais ce n'est pas forcément la meilleur solution. On peut réfléchir d'abord au matériel et aux ressources que l’on a à sa disposition.

Le plus important n'est pas de se demander comment concevoir un produit low-tech mais plutôt de se demander quelle est la meilleur réponse à la problématique utilisateur qui amènerait ce produit.

3. L'adoption de la conception responsable

Où en est la prise de conscience ? Comment la conception responsable du numérique est-elle adoptée ? Et par qui ?

Au début de mes études et lors de mes premières expériences de développeur web, je n'ai entendu parler ni d'impact du numérique, ni de conception responsable, ni d'écoconception pendant plusieurs années. Pourtant GreenIT, par exemple, en France met en place des actions depuis plus de 15 ans sur ces enjeux. Cependant, depuis ces dernières années avec la sortie des rapports de l'ADEME et du Shift Project, nous sommes davantage informés et des structures plus importantes prennent les choses en main. Des études concrètes sur l'impact du numériques ont été publiées et mieux diffusées. Des voix se font entendre au sein du gouvernement et des débuts de projets de loi se mettent en place.

3.1 Etats des lieux

L'industrie du Numérique est neuve et nous avons encore peu de recul concernant l'adoption des équipements et des terminaux et leurs impacts. De plus, de nombreuses personnes ignorent encore comment utiliser leurs terminaux correctement et n'ont pas forcément les connaissances nécessaires à une bonne utilisation. Beaucoup sont encore en difficultés avec le numérique, voire n'y ont pas accès. Il est alors d'autant plus difficile de leur parler de l'impact qu'ils ont sur l'environnement et de leur demander de changer leurs habitudes. Il est en effet très compliqué de se rendre compte de l'impact que l’on a lorsque l’on achète par exemple un smartphone puisque cet impact a essentiellement lieu avant l'achat de l'objet. Cette action paraît inoffensive, immatérielle pour la plupart des gens.

Pour encore beaucoup d'entreprises du numérique, l'approche numérique responsable n'existe tout simplement pas. Le client ne la demande pas, le prestataire n'y pense pas.

Pourtant, de nouveaux acteurs font leurs apparition, des personnes qui travaillent depuis des années dans cette industrie s'organisent et réfléchissent à de nouvelles démarches de conception.

C'est le cas du collectif Lyonnais Open CyLife créé en 2018. Les fondateurs se sont à la base retrouvés pour créer un projet avec de la réalité virtuelle mais se sont rendus compte au cours de plusieurs échanges que ce n'était pas la bonne direction à prendre. Ils ont alors découvert les démarches de conception responsables et ont décidé de monter une association pour travailler sur celles-ci et les diffuser au plus grand monde.

On retrouve également Fairness, à Paris, qui accompagne des entreprises et collectivités dans la conception responsable de projets web.

Fairness fait partie du collectif Conception Numérique Responsable qui regroupe des experts et des organisations en faveur d'une conception responsable des services numériques. Une trentaines d'acteurs font aujourd'hui partie de ce groupe et sont de tous horizons : entreprises utilisatrices, cabinets d'étude en environnement, agences web, spécialistes de l'écoconception numérique, entreprises de services numériques (ESN), institutions, fédérations, recherche, etc. On peut citer également des associations comme la Fing, The Shift Project, Lattitudes mais également de plus grandes organisations comme WWF, l'ADEME et des entreprises comme D2SI, Mediapart et l'agence Lyonnaise Peaks.

Même Ivan Beczkowski, président et directeur de la création de BETC Digital, parle d'un point de bascule dans le secteur du numérique dans son interview pour la réclame. Son agence travaille sur un cahier des charges type pour aider le concepteur à prendre en compte tous les facteurs d'une démarche responsable afin de concevoir des sites plus légers et qui produisent le moins de carbone possible.

Des Hackatons sont également organisés comme La Nuit du Code Citoyen, un marathon d’innovation associant thématiques citoyennes et technologie en simultané dans plusieurs villes.

Des conférences majeures d'Internet en France donnent la parole à des acteurs du numérique responsable comme Frédéric Bordage, fondateur de GreenIT à ParisWeb en 2019 ou Romuald Priol, développeur chez l'agence Lyonnaise Peaks à BlendWebMix la même année.

De plus, des actions politiques commencent à faire surface. En effet le Shift Project et GreenIT échangent avec le gouvernement et travaillent sur un projet de loi visant à rendre obligatoire les démarches d'écoconception des services numériques de l'Etat et des grandes entreprises dans le prolongement de la Loi pour une République numérique.

3.2 Comment diffuser la démarche

La prise de conscience est encore loin d'être globale sur le numérique et il va être difficile de faire changer des rouages bien ancrés. Il faut montrer que l'impact est réel. Dans 10, 20 ans avec l'appauvrissement des ressources et les limites en énergies, il faudra se poser des questions vitales. Mieux vaut se poser les questions et entamer les démarches dès aujourd'hui.

Pour une entreprise, la conception responsable présente des arguments très avantageux.

Lors d'une interview, le collectif OpenCylife m'a fait apparaître que la conception responsable était très bien accueillie lors d'interventions dans les entreprises. Les arguments qui ont le plus d'impact sont bien souvent commerciaux. Grâce à l'écoconception, il est vrai que le code est plus simple et demande moins de fonctionnalités. On a un gain de coût sur les serveurs, la main-d'oeuvre et bien sûr la maintenance.

Cette démarche permet également d'augmenter la valeur de l'entreprise (résultats, image), d'être plus en adéquation avec les nouvelles attentes du public et d’avoir une responsabilité accrue en tant qu’acteur de la société.

Cette question est même devenue un élément de stratégie important pour de nombreuses entreprises tant ces nouveaux enjeux se développent chaque année.

Conclusion

Internet et le numérique ont globalement bouleversé nos modes de vie, changé notre rapport au temps, à l'espace aux autres. Cette industrie nouvelle s'est installée en une sorte de libérateur virtuel qui prétendait pouvoir régler tous les problèmes du monde. Hélas, on ne soupçonnait pas que l'évolution rapide de cet écosystème à la fois fragile et colossal aurait des retombées aussi conséquentes sur l'environnement. La dématérialisation est un mythe et il est temps de penser à un numérique et un internet viable et responsable pour demain. Les développeurs web sont au centre de cet écosystème et ont un rôle essentiel à jouer dans l'ère de la création de services en lignes aux demandes en ressources et énergies exorbitantes. On peut drastiquement diminuer l'impact du numérique par une conception responsable des projets que l'on réalise. Mais au risque de décevoir, il n'y a ni framework, ni CMS tout fait qui va rendre un site "écoresponsable".

Les principes de conception responsables s'appliquent déjà et avant tout lors des premières phases de réflexion du produit. C'est en réalité des applications simples à mettre en oeuvre qui se basent sur trois principes : simplicité, frugalité, pertinence. Ce n'est pas une démarche de performance, mais une démarche d'efficience qui se préoccupe de dépenser le moins d'énergie et de ressources possibles. Mettre en oeuvre cette posture favorise une sobriété numérique très efficace pour réduire l'empreinte d'un site web. L'objectif est d'avoir des usages plus sains d'Internet, plus responsables. Cette démarche répond aux trois enjeux du développement durable : la préservation de l'environnement, l'augmentation de l'équité sociale et une plus grande performance économique.

Si elle est très positive pour l'impact du cycle de vie d'internet, cette approche de conception responsable ne peut cependant fonctionner qu'avec une prise de conscience globale des impacts environnementaux de notre mode de vie aujourd'hui. Si l’on optimise le code et que l'on propose des services plus légers à moindre coût, l'effet rebond fera que les gains générés seront rapidement exploités et donc perdus. Les développeurs ne peuvent agir seuls. Le changement passe aussi par les usages du numérique au quotidien et tous les acteurs doivent agir. Il faut amener une envie de sobriété, donner envie de changer les usages. Le plus important aujourd'hui est d'informer et de sensibiliser aux enjeux de demain pour une prise de conscience globale. On le voit aujourd'hui avec la 5G et la résistance qui s'installe pour stopper le flux de solutions technologiques à venir. Il est important d'éco-concevoir mais il est surtout important de le faire savoir.